La GRC s'intéresse aux recherches en toxicomanie.
La Gendarmerie royale du Canada (GRC), principal service de police en Colombie-Britannique, a reconnu mercredi dernier avoir commandé des études visant à «vérifier» les recherches scientifiques invoquées en faveur d'Insite, le centre d'injection supervisée pour toxicomanes à Vancouver.
La veille, un groupe de défense sociale, la Pivot Legal Society, avait révélé l'existence de ces commandes discrètement passées par la police fédérale à des universitaires et avait demandé au Vérificateur général de la province de faire enquête sur les fonds qu'on y aurait consacrés.
Depuis, un porte-parole de la GRC, Annie Linteau, a confirmé non seulement que la GRC avait commandé des expertises concernant Insite, mais qu'elle en subventionne sur «tous les sujets» qui importent à une force policière «impartiale et efficace». La chose n'est pas secrète, a-t-elle ajouté, et la GRC y consacre environ un million de dollars par année.
Deux critiques demandées à des universitaires n'ayant pas fait l'affaire de la police, dit-on, celle-ci en a commandé deux autres, favorables cette fois à ses vues. Ces derniers rapports auraient, selon la GRC, démontré que «les bienfaits cités par des chercheurs en faveur des centres d'injection supervisée ne pouvaient être confirmés par les méthodes qu'ils ont utilisées».
Pour certains, la GRC recherchait moins un éclairage indépendant qu'une caution scientifique pour son opposition à Insite et aux centres d'injection dont il est question, ailleurs, en Colombie-Britannique. Pour d'autres, la GRC a outrepassé son mandat en prenant partie dans une controverse à caractère médical. D'autres encore en ont aussi contre une tactique policière qui leur paraît manipulatrice.
Dans un passé pas si lointain, des commissions d'enquête, l'une à Ottawa, l'autre au Québec, ont révélé que la GRC avait développé des opérations clandestines illégales visant à déstabiliser non seulement des groupes subversifs, mais aussi des organisations simplement contestataires. Cette fois-ci, d'aucuns se demandent si les «études» qu'on invoque à Ottawa contre Insite ne sont pas le fruit d'une manoeuvre de même nature.
Grâce à la Loi d'accès à l'information, le groupe Pivot a découvert des courriels internes de la GRC qu'il estime être fort révélateurs. Un premier texte, daté du 26 mai 2007, se moque du Centre d'excellente relatif au VIH-Sida en le traitant de «Centre d'excréments». Le directeur du Centre, Julio Montaner, est pourtant considéré comme un scientifique mondialement respecté. Son crime? Il est favorable à l'expérience d'InSite.
Dans un autre courriel, daté du 5 mai 2008, un constable, Chuck Doucette, incite ses «contacts», dont l'auteur d'un rapport, à intervenir nombreux lors d'une tribune radiophonique où lui-même est invité. Car les défenseurs d'Insite, écrit-il, ne manqueront pas d'occuper la ligne. «Essayons d'avoir plus d'appels qu'eux autres.» L'homme a pris sa retraite depuis. Mais ces écrits jettent un doute sur les motifs des gens de la GRC affectés au dossier.
Deux contre-expertises commandées en 2006 et publiées en 2007 ont coûté à la GRC 15 000 $ environ, précise la constable Linteau. La somme ne paraît pas excessive. Ce sont plutôt les principes en cause qui alimentent la controverse. La GRC a-t-elle le mandat d'intervenir dans des débats médicaux ou scientifiques? Et les chercheurs qu'elle recrute dans un tel contexte ont-ils toute la crédibilité nécessaire?
Parmi les études commandées par la GRC dans Insite, celle du directeur de recherche au Drug Prevention Network of Canada, Colin Mangham, a été largement diffusée. Ce chercheur ne s'en excuse pas, au contraire. Selon lui, les autres recherches présentées comme favorables à Insite ne sont pas aussi concluantes qu'on le prétend.
La GRC, il est vrai, a payé la contre-expertise qu'il a menée, mais, dit-il, la police n'a en rien exercé un contrôle sur ses constats. La GRC voulait obtenir, dit-il, une «seconde opinion». «On m'a demandé de faire une recherche et de fournir une critique indépendante.» Les représentants de la santé, ajoute-t-il, étant payés par la santé publique, «n'auraient certainement pas pu dire ce que j'ai dit».
Les problèmes de toxicomanie ou de santé mentale ne sont pas faciles à comprendre, encore moins à prévenir ou à résoudre. Il est donc normal que des écoles de pensée s'y affrontent et que des experts présentent des rapports parfois très divergents. Mais ces «maladies» doivent-elles avoir la priorité sur les «crimes» qu'il arrive à ces malades de commettre? Entre ces vues contradictoires, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, qui entendra la cause d'Insite l'an prochain, aura du mal à trancher. Insite prétend réduire les crimes, la GRC, au contraire, affirme que cette pratique contribue à répandre cette plaie sociale.
La bataille acharnée entre experts met aussi en jeu leur crédibilité professionnelle. Que valent les rapports des gens du secteur public s'ils n'osent contredire une politique à laquelle ministères et autres organismes ont donné leur appui? Et que valent de leur côté les contre-expertises «indépendantes», si on les soupçonne de servir à des opérations politiques ou policières?
Pourtant, on ne saurait guère mener un débat ou trancher un litige en ce domaine si les faits essentiels ne sont pas connus. Et ils ne peuvent l'être à moins que ne soit effectuée une patiente recherche. Si une clinique comme Insite ne réduit pas, comme certains le prétendent, les méfaits comme le vol -- principale infraction des toxicomanes sans argent -- l'incarcération chère à la police y parvient-elle davantage?
D'après une étude récente publiée dans le journal médical Addiction, 30 % des femmes et 14 % des hommes détenus dans des pénitenciers canadiens l'étaient pour des infractions reliées aux drogues. On a suivi 1600 d'entre eux pendant près de dix ans. La consommation de drogue baisse en prison, toutefois elle ne cesse pas. Mais qu'en est-il de l'effet de l'incarcération sur l'abandon de la drogue?
Les toxicomanes qui sont incarcérés ont moins de chances d'abandonner leur habitude que ceux qui restent en liberté. La raison en est bien simple, selon Evan Wood, chercheur au même Centre d'excellence de Vancouver. Dans une entrevue donnée à André Picard, le reporter à la santé publique du Globe and Mail, Wood explique qu'un toxicomane peut davantage obtenir de l'aide à l'extérieur du pénitencier qu'à l'intérieur. Les prisonniers avaient 57 % moins de chances d'abandonner la drogue (pendant six mois ou plus), alors que les toxicomanes en liberté avaient 62 % plus de chances de se débarrasser de leur habitude (pour une même période d'abstinence). La différence? Le recours à la méthadone, qui est disponible en clinique spécialisée, mais qui ne l'est pas en prison.
Pour le Dr Wood, il ne s'agit pas de laisser en liberté les auteurs de crimes violents. Mais la plupart des toxicomanes qui enfreignent la loi le font pour payer leur consommation. Il en coûterait pas mal moins cher de traiter ces gens pour leur dépendance maladive, que de les enfermer pour de petites infractions liées à leur toxicomanie.
En somme, on tromperait les gens en leur donnant à croire que l'incarcération dissuade les consommateurs de prendre de la drogue et prévient les infractions qu'elle occasionne. L'emprisonnement, privant de traitement les toxicomanes, contribuerait à l'aggravation du fléau.
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